En fait, il ne s’agit plus de savoir si c’est bien ou pas bien puisque la loi AGEC et l’Union Européenne œuvre activement à imposer cet affichage environnemental sur les vêtements dès 2022-2023. Pour l’industrie textile, le sujet est complexe. Vouloir simplifier en mettant une note environnementale de A à E est une bonne initiative pour aider le consommateur à y voir plus clair… à condition de ne pas l’induire en erreur.

Comment rendre simple (voir simpliste) et juste un sujet complexe ?

Fabriquer un vêtement est très compliqué et implique un grand nombre d’acteurs. Aussi se contenter d’éléments déclaratifs sans vérification est forcément source d’erreurs voir de fraudes, surtout quand on fabrique ses produits à l’autre bout du monde et qu’on n’a jamais mis les pieds dans les usines.

Car la réalité est bien celle-là. Aujourd’hui, pour la grande majorité des produits fabriqués, les marques n’ont aucune idée de la façon dont ils ont été réalisés (en dehors de leur rang 1). Dans ces conditions, comment peut-on apporter une information pertinente aux consommateurs et définir une note à un produit ?

De la même manière, s’appuyer sur des bases de données qui ont été élaborées sur des éléments macros et des « grandes tendances » pour calculer (par défaut) l’Analyse du Cycle de Vie d’un vêtement peut s’avérer problématique car, dans nombre de cas, l’utilisation de ces bases de données ne permettent pas de sortir des chiffres pertinents. Dans d’autres cas encore, il peut s’avérer qu’il soit contre-productif par rapport aux buts recherchés, à savoir :

• Améliorer l’éco-conception
• Communiquer une information sécurisée aux consommateurs

Ainsi l’innovation durable et les démarches les plus poussées en matière d’éco-conception et de fabrication éthique pourraient être mal notées par rapport à un produit conventionnel ou un autre dont l’éco-conception serait très discutable.

Pour donner un exemple : la base CODDE couplée à la base ELCD (base de données de l’UE) donne un résultat 10 fois supérieur entre un coton biologique et équitable produit en Inde et un coton biologique produit en Turquie sur le facteur de l’eutrophisation de l’eau douce. Pour quelle raison ?

Les bonnes initiatives bio/équitables existent en Inde comme en Turquie. Mais d’autres initiatives labellisées « bio » (certifiées GOTS ou pas) sont beaucoup plus contestables. Et il n’est parfois pas simple de faire la différence, même lorsque l’on veut sortir un calcul d’impact précis. Ainsi, à ce jour, la base Impact de l’Ademe ne fait pas la différence entre un coton conventionnel (la culture la plus polluante au monde) et un coton certifié biologique et équitable. Cette situation est extrêmement préjudiciable pour ceux qui s’engagent dans une véritable démarche soutenable, qui plus est lorsque l’affichage environnemental sera entré en vigueur. Il est urgent de corriger le tir.

Credit Good Fabric

Good Fabric fait partie des Groupes de Travail engagés par l’Ademe pour réfléchir sur ces sujets. Nous espérons vivement qu’ils pourront atteindre l’objectif de réduire l’impact environnemental de l’industrie textile et n’aura pas l’effet inverse en favorisant les « solutions » les moins disantes, sous la pression de certains lobbys.

Celui-ci ne s’arrête pas à la consommation de GES. Les pollutions potentielles sont multiples à chaque étape des filières de l’industrie textile.

Pour le calcul ACV d’un produit, GOOD FABRIC a choisi de prendre en compte 8 facteurs d’impact, notamment le changement climatique, l’utilisation des ressources fossiles ou l’eutrophisation de l’eau. L’ACV, à condition de ne pas se contenter de prendre des moyennes ou des valeurs par défaut, permet d’identifier et de quantifier ces facteurs. Mais pour obtenir des données fiables et vérifiées, il est indispensable de tracer la fabrication de bout en bout.

Or la traçabilité des supply chain textile est l’autre enjeu permettant de répondre aux attentes de transparence des consommateurs et aux objectifs RSE annoncés par les marques. Maitriser sa traçabilité est un sujet là aussi très complexe sachant qu’il n’est pas possible d’avoir un auditeur en permanence dans chaque usine. Donc comment avancer dans le bon sens ?

Il est ainsi possible de trouver une multitude d’exemples très concrets pour remettre en cause la pertinence des critères retenus pour donner une note :

• Pourquoi une matière recyclée issue de la pétrochimie ne bénéficiant d’aucune garantie de non-toxicité serait mieux notée qu’un coton biologique et équitable bénéficiant des certifications les plus contraignantes sur l’ensemble de sa filière ?
• Pourquoi ne ferait-on pas la distinction entre les champs irrigués au goutte à goutte plutôt qu’un arrosage massif et incontrôlé ?
• Pourquoi ne prendrions pas en compte les bonnes pratiques de certains éleveurs vis-à-vis du bien-être animal ?
• Pourquoi le cuir, qui est un déchet à la base, serait obligatoirement mal noté ?
• Est-ce que l’affichage environnemental prendra en compte la qualité du retraitement des eaux usées dans les usines d’ennoblissement et les teintureries ?
• Sans maitrise de la traçabilité de sa supply chain, comment peut-on garantir la véracité de certaines allégations soi-disant durables ?
• Sur quels critères environnementaux objectifs vont être appréciés et notés les différentes fibres végétales, animales ou synthétiques ?

Nathalie Lebas Vautier, cofondatrice de GOOD FABRIC, évoque le sujet dans l’article du Journal du Textile « L’affichage environnemental se concrétise »… « La traçabilité est le premier frein à la mesure du score environnemental… ».

C’est pour aider les marques à booster l’éco-conception de leurs collections que GOOD FABRIC a lancé la plateforme FOOTRIDGE.

La planète sans les hommes ?

Autre sujet, l’affichage environnemental c’est bien mais pouvons-nous dissocier la préservation de la planète de l’avenir de l’espèce humaine ? De notre point de vue, il n’est pas concevable de vendre un produit certifié bio qui aurait été fabriqué dans de mauvaises conditions sociales, s’approchant même, dans certains cas, à de l’esclavagisme. Pourtant c’est possible.

Vous le voyez, beaucoup de questions se posent. Et les réponses données conditionneront à la fois, la qualité de l’information transmise aux consommateurs, et le niveau et la rapidité de la transformation de notre industrie. Faire simple est souvent difficile. Comme le disait Léonard de Vinci, « la simplicité est la sophistication suprême ».

Des tricheurs, il y en a toujours. Mais plutôt que d’instaurer des règles pour les freiner (règles qui sont systématiquement contournées d’une manière ou d’une autre), il serait beaucoup plus pertinent d’encourager, de favoriser les (vraies) bonnes initiatives et de faire confiance aux acteurs qui s’engagent.

Enfin, plutôt que de monter une usine à gaz qui serait figée dans le marbre pour 10 ans. Ce serait une bonne idée de mettre en place des méthodes apprenantes permettant d’actualiser les critères en prenant en compte l’innovation et le retour d’expérience.

https://www.journaldutextile.com/l-affichage-environnemental-se-concretise