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La dure réalité du coton biologique

Filières

21 février 2022
La dure réalité du coton biologique 605 289 Good Fabric

L’article « That Organic Cotton T-Shirt May Not Be as Organic as You Think » paru dans le New York Times le 13 février met en lumière certaines dérives de la production de coton biologique en Inde. La situation est complexe et le risque est grand pour les acteurs les plus engagés car les répercussions de cette médiatisation pourraient leur porter un lourd préjudice.

Nous alertons nos clients depuis de nombreuses années sur les risques liés à l’achat de coton « biologique » dans le monde et notamment en Inde. Et nous avons écrit de nombreux articles à ce sujet. Depuis 2 ans la demande de coton biologique a soudainement explosé dans le monde et en particulier en Europe sachant qu’il ne représente pas plus de 1% de la production mondiale de coton.

Produire un coton certifié biologique est beaucoup plus difficile du fait du respect du cahier des charges et il faut 3 ans de conversion avant d’obtenir la certification biologique… Donc avec 1% de la production mondiale, il semble très difficile de pouvoir s’approvisionner de cette fibre rare. Or, ces 2 dernieres années, il n’est pas si difficile d’acheter un produit fini certifié GOTS ou OCS pour une marque qui ne s’est jamais préoccupé du sujet jusqu’à présent. Cherchez l’erreur.

Si l’on en croit les données du Conseil consultatif international sur le coton (Icac), la demande de coton (tout type confondu) s’élève à 107,3 millions de tonnes en 2021/22 (versus 93,5 MT en 2020/21), soit un nouveau record. Elle pourrait atteindre 125 millions de tonnes en 2025.

Le mouvement de la réduction de l’impact de l’industrie textile est engagé. Mais à ce jour, il n’existe pas de réglementation européenne sur le textile biologique, contrairement à l’alimentaire.

Pour certaines marques, il est tentant de vouloir afficher très vite de belles promesses en brûlant les étapes d’une démarche sérieuse, c’est-à-dire en achetant un produit dit « durable » avec un certificat GOTS ou OCS sans se préoccuper de savoir dans quelles conditions réelles est produit et transformé le coton. D’ailleurs la plupart du temps, elles n’en ont aucune idée, faute de traçabilité. Elles s’appuient comme il se doit sur des certifications (certificat de transaction transmis par le confectionneur et délivré par un organisme de certification) attestant du respect du cahier des charges biologique à chaque étape de production et de transformation. Malheureusement, ce n’est pas suffisant. Et il faut une expertise certaine et une grande rigueur pour déceler les potentiels documents erronés.

L’article du NYT nous explique que plus de la moitié du coton certifié bio n’est pas biologique. Nous sommes, dans ce cas, face à une fraude massive et organisée de certaines « filières » qui transforment comme par magie un coton conventionnel en coton biologique. Ainsi, tous les acteurs de ces filières (ou une grande partie) peuvent être mis en cause. La corruption est massive et l’appât du gain ou la simple nécessité de devoir répondre à la demande de son client peut entraîner de graves dérives à tous les étages.

Il y a 5 ou 10 ans, personne ne voulait acheter de coton biologique et encore moins au prix équitable. Aujourd’hui, tout le monde veut du coton biologique mais très peu accepte de payer le prix équitable. Or il s’agit là d’un point capital. Les acteurs vraiment engagés ne peuvent envisagés acheter un véritable coton biologique sans se préoccuper des conditions de vie des producteurs. L’un ne va pas sans l’autre. Sinon on arrive à des aberrations, comme le souligne l’article, avec des petits producteurs qui pourraient voir baisser leurs revenus.

La capacité à vendre au prix juste son travail et la qualité de son coton est très difficile pour les producteurs isolés. Il est indispensable pour eux de se rassembler au sein d’une coopérative qui leur apporte le soutien opérationnel et la capacité à vendre leur production aux acheteurs qui respectent leur travail et paient le prix équitable. Et même au sein de ces coopératives, rien n’est garanti.

Le problème est que cette logique n’est pas partagée par la plupart des acheteurs qui ne partagent en rien ses valeurs et qui continue à appliquer leur méthode d’achat au plus bas prix.

Les marques et enseignes qui se contentent d’acheter un produit avec un certificat au plus bas prix possible, mais aussi les consommateurs qui refusent d’acheter leurs vêtements au juste prix sont tout autant responsable que les industriels, laboratoires et auditeurs corrompus.

Or produire un vêtement suivant le cahier des charges GOTS coute plus cher qu’un produit conventionnel, en grande partie parce que nous ne bénéficions pas des mêmes économies d’échelle et que les contraintes à respecter entrainent des coûts supplémentaires importants.

Quels sont les acteurs vraiment engagés ou prêts à s’engager pour rendre plus juste et plus durable notre industrie ? Telle est donc la question.

Car si la moitié du coton bio en Inde n’est pas bio, l’autre moitié l’est vraiment. Et il ne faudrait pas que les acteurs engagés qui mènent ce combat au quotidien soit emportés par une vague de l’« organic cotton bashing ». Au contraire, il est urgent de leur donner les moyens de poursuivre leur travail, de convertir et de former davantage de fermiers à l’agriculture biologique. Il est indispensable de soutenir les coton-culteurs dans leur période de conversion afin d’augmenter significativement les volumes sur les 10 prochaines années et faire en sorte que le véritable coton biologique représente plus de 15% de la production mondiale.

Il est urgent de tracer et de sélectionner les bons acteurs sur l’ensemble de la supply chain. Et il est urgent que les acheteurs assument leurs responsabilités et fassent ce qu’il faut pour atteindre ces objectifs. Il ne s’agit pas d’enjeux financiers majeurs à partir du moment où on achète ce précieux coton sans intermédiaire ou trader, y compris au prix équitable. Il s’agit de s’engager sur la durée, d’accepter de payer le prix juste aux producteurs et de respecter mutuellement ses engagements.

Dans la continuité de notre engagement depuis 2004, GOOD FABRIC a lancé en janvier dernier le projet Good Cotton pour permettre aux marques françaises de s’engager au sein de sa filière éthique en appliquant cette vision.

Les solutions existent. Il suffit de faire l’effort de les identifier et de les mettre en œuvre.

Se posent alors plusieurs problématiques :

Quelles sont les bonnes et les mauvaises certifications à choisir pour le coton biologique : GOTS, OCS, ROC, BCI… ?

Il est en effet indispensable de choisir le ou les référentiels les plus sérieux permettant de garantir sur le papier le respect d’une agriculture biologique et d’une transformation à faible impact tout au long de la transformation de la fibre.

Une chose est sûre : si on se pose des questions sur le GOTS, il n’y en a aucune sur le BCI. Soyons clair, il s’agit d’un label ouvrant la porte à tout et n’importe quoi.

Les certifications les plus sérieuses sont-elles suffisantes pour s’assurer d’acheter véritablement du coton biologique ?

En théorie, oui. En réalité, non !

La certification biologique de la culture biologique est la certification NPOP. La certification GOTS prend la suite à compter de l’étape d’égrenage.

Un fermier en Inde ne peut produire du coton certifié biologique qu’après avoir passé une période de 3 années de transition. Il doit utiliser des graines non-OGM et aucun intrants chimiques. Pour cela, il ne peut le faire seul. Si sa coopérative n’est pas en mesure de lui fournir les graines et le former sur les principes de l’agriculture biologique, la transition est vouée à l’échec. Il n’aura d’ailleurs aucun moyen d’acheter des graines de coton non-OGM car il s’agit d’une denrée rare. Les firmes OGM ont bien fait leur travail ! Le respect des valeurs et l’expertise de la coopérative ou de l’ONG qui accompagne ces fermiers est donc capital pour permettre de développer une agriculture véritablement biologique et permettant d’élever le niveau de vie des cultivateurs.

De manière plus concrète, il est indispensable de comprendre la vie d’un « petit » producteur de coton en Inde qui doit se battre face à de multiples menaces avec chaque année l’incertitude d’obtenir un revenu suffisant. Nous parlons de population extrêmement pauvre pour qui le fait de passer à une culture biologique est un facteur de risque énorme pour la survie de sa famille. Nettoyer les terres des pesticides, attendre 3 ans avant d’être certifié biologique est une étape très dangereuse et nécessite un accompagnement indispensable. A terme, la montée progressive des rendements et l’arrêt des achats de pesticides, qui pouvait représenter 50% de leurs revenus, leur permettra de mieux gagner leur vie. Surtout s’ils ont la possibilité de vendre au prix équitable.

Le rendement du coton biologique dépend de plusieurs facteurs et notamment de la capacité des producteurs à appliquer les bonnes méthodes. Les firmes OGM se sont acharnées avec leur propagande pour expliquer que leur coton BT allait permettre d’atteindre des rendements toujours plus élevés. A l’inverse, le coton biologique allait soit-disant amené à la ruine.

La réalité est tout autre et la chute dramatique des rendements de coton OGM a été constaté partout en Inde comme en Afrique. A l’inverse, les rendements de coton biologique augmentent progressivement si le travail est bien fait en permettant de faire vivre à nouveau les sols grâce au compost. Par ailleurs, la problématique de la consommation d’eau peut être en grande partie traitée avec un système de goutte à goutte.

Il existe malheureusement des coopératives incapables de faire appliquer les méthodes de l’agriculture biologique car incapables de former et d’accompagner les producteurs en leur fournissant les bonnes graines.

En outre, l’opacité de certaines filières entre la coopérative de coton-culteurs, l’égreneur, le filateur… rend le risque de contamination ou de fraudes très élevées avec certains acteurs peu précautionneux voir malhonnêtes.

Un égreneur doit nettoyer intégralement l’ensemble de ses machines avant d’égrener un coton biologique pour éviter toute contamination avec du coton conventionnel. La démarche est la même pour un filateur qui doit isoler le coton bio du coton conventionnel. Le process de nettoyage est très lourd et coûteux pour ces unités industrielles.

Qui délivre les certifications et comment s’effectuent les audits ?

La certification est aujourd’hui indispensable mais insuffisante. Sans traçabilité ni connaissance des acteurs il n’est pas possible d’être sûr de la matière que l’on achète.

Différentes organisations indépendantes interviennent pour :

  • Définir le cahier des charges
  • Auditer et délivrer le certificat
  • Tester en laboratoire les matières et produits

Lorsque tout le monde fait bien son travail, chaque acteur joue son rôle pour garantir les allégations du produit. Malheureusement, dans la vraie vie, la force de certains lobbys, la corruption ou la négligence de certains organismes de référence mettent en difficulté la démarche. De la même manière, il est impossible de mettre un auditeur derrière chaque coton-culteur tout au long de l’année.

Donc il ne sera jamais possible de garantir à 100% que le coton bio utilisé le soit véritablement sans aucune contamination. Les acteurs les plus sérieux peuvent s’en rapprocher mais le risque 0 n’existe pas. Dans tous les cas, la condition incontournable est de s’appuyer sur les bons partenaires à toutes les étapes de la filière.

Pourquoi toutes ces dérives ?

Elles sont potentiellement multiples. Fabriquer un vêtement biologique est extrêmement contraignant pour tous les acteurs. Il y a 18 ans, la quasi-totalité de ces acteurs n’avait aucune perception de l’intérêt de la démarche. Aujourd’hui, liée à une demande d’une consommation plus transparente et soutenable, et d’un cadre règlementaire toujours plus contraignant, les marques sont obligées de changer. Et la demande de produits « éco-responsables » explose.

La plupart des acteurs (que ce soient les marques ou les industriels) ne savent toujours pas de quoi on parle… mais il faut répondre à la demande du marché. Or lorsque l’on ne maîtrise pas un sujet, soit on apprend et on cherche à faire bien, soit on cherche simplement à obtenir le bon tampon sur le papier sans chercher à se préoccuper du reste. Il faut dire également que ceux qui cherchent à faire bien et à avoir une traçabilité sont confrontés bien souvent à des murs et à l’opacité.

Par ailleurs, vouloir acheter un produit fini en coton certifié biologique au même prix qu’un produit conventionnel est absurde et entraîne automatiquement des dérives. Il est impossible de se prémunir du risque de fraude si chaque acteur de la chaine n’est pas rémunéré correctement.

Être une grande enseigne de la distribution et accepter un prix d’achat supérieur de 3% par rapport au prix qu’elle achète habituellement un Tshirt conventionnel au Bangladesh ne permet pas de rémunérer une vraie filière biologique (et encore moins équitable). De fait, cette même enseigne oblige en parfaite connaissance de cause les acteurs à ne pas respecter les cahiers des charges de la bio pour survivre.

De la même manière, et même si une maison de mode a souvent besoin d’appliquer des marges importantes pour être rentable, est-il acceptable d’avoir une marque qui applique des coefficients déraisonnables sans se préoccuper de savoir si ses coton-culteurs mangent à leur faim ? Il est important de préciser qu’une maison de mode peut appliquer des coefficients importants et veiller à ce que toute la filière vive convenablement.

Quelles solutions pour garantir un vrai coton biologique ?

  1. Définir une vision claire des engagements de la marque
  2. Payer le prix juste et s’engager dans la durée avec les producteurs
  3. Aider les producteurs en conversion
  4. Choisir (et donc connaître) les bons partenaires à toutes les étapes de la filière et s’assurer qu’ils partagent (vraiment) des valeurs de respect de l’environnement
  5. Créer des synergies pour atteindre des volumes de coton biologique et en conversion significatifs pour avoir une filière ne produisant que du coton biologique (égreneur, filature, tissage…)
  6. Maîtriser sa traçabilité et comprendre les facteurs d’impact sociaux et environnementaux

La mise sur le marché d’un produit incombe à la marque. C’est à elle de s’assurer du respect des allégations qu’elle communique. C’est à elle de contrôler les conditions de fabrication de ses produits. Elle ne peut le faire sans s’appuyer sur les bons fournisseurs sur l’ensemble de la chaine. Elle ne peut le faire sans une véritable volonté de changement portée par des valeurs de respect de l’être humain et de l’environnement. Il ne s’agit pas de belles paroles mais des fondements de la démarche. Sinon le metteur sur le marché expose la réputation de sa marque, à ses risques et périls. Et désormais, elle peut s’appuyer sur des plateformes comme Footbridge pour atteindre cet objectif.

 

Les fraudes doivent être farouchement combattues et les tricheurs poursuivis. Mais chacun doit assumer ses responsabilités. Des filières éthiques et véritablement engagées existent en Inde et ailleurs. Ce sont ces bonnes filières qu’il faut mettre en lumière.

Pour tous les sceptiques du réchauffement climatique, il serait facile de se dire que le coton biologique n’est pas une solution et qu’il est surtout préférable de ne rien changer. Ce serait évidemment plus « facile ». Tout dépend si on veut servir la cause ou pas.

Au risque de nous répéter, une chose est sûre : le coton biologique ET équitable lorsqu’il est produit dans les règles de l’art et acheter par des marques prêtes à s’engager dans la durée permet de

  • réduire drastiquement l’impact environnemental de cette fibre
  • faire vivre dignement et en bonne santé les producteurs

 

Sources:

https://www.nytimes.com/2022/02/13/world/organic-cotton-fraud-india.html

https://www.agenceecofin.com/coton/1201-94314-la-demande-mondiale-en-fibres-textiles-pourrait-rebondir-a-107-millions-de-tonnes-en-2021/2022

https://textileexchange.org/wp-content/uploads/2021/07/Textile-Exchange_Organic-Cotton-Market-Report_2021.pdf

 

 

 

 

Par Louis-Marie VAUTIER
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